Découvrez dans ce dossier le hors-série Beaux Arts Magazine intitulé "Villa Kujoyama - 30 ans de résidences au Japon", disponible en kiosque et sur beauxarts.com.
Propos recueillis par Claude Pommereau et Débora Bertol
CP – Alors que vous avez célébré, en 2022, 100 ans de diplomatie culturelle, vous fêtez également
les 30 ans de la Villa Kujoyama. Que représente cette résidence pour l’Institut français ?
L’Institut français, qui a pris la suite de l’AFAA, puis de CulturesFrance en 2010, fête en effet ses 100 ans cette année. Notre originalité est de dépendre à la fois du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du ministère de la Culture. Nous travaillons en partenariat étroit avec l’ensemble du réseau culturel français à l’étranger, composé des services culturels de nos ambassades, de nos Instituts français et des Alliances Françaises. Ainsi, la Villa Kujoyama relève de l’Institut français du Japon et donc de l’ambassade et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Elle est un élément majeur du dispositif culturel bilatéral entre la France et le Japon. Ce qui me paraît remarquable, c’est que depuis 2014, après que la Villa a été restaurée grâce à une donation de Pierre Bergé, les programmes de résidences ont été repensés avec un ancrage fort au Japon. Si, à cette même époque, la Fondation Bettencourt Schueller a choisi de nous rejoindre, c’est aussi parce que la Villa est sise à Kyoto, ville qui incarne la tradition des métiers d’art au Japon.
CP - La pandémie et les restrictions de circulation n’ont- elles pas empêché́ ces dernières années la vie à la Villa Kujoyama ?
Nous avons réussi à ne fermer la Villa Kujoyama que pendant trois mois à l’été 2021 et entre janvier et mars 2022. Comme il était très compliqué d’y faire venir des résidents français, nous en avons profité́ pour accueillir un plus grand nombre de créateurs japonais que d’ordinaire. Nous n’avons cependant annulé aucune résidence. Il a fallu procéder bien sûr à de nombreux reports, c’est la raison pour laquelle, cette année, nous n’avons pas publié́ d’appels à candidatures. En revanche, dès que nous avons pu rouvrir la Villa, nous étions la seule résidence étrangère à accueillir des résidents et résidentes étrangers sur le sol japonais.
DB - La durée des résidences est de quatre à six mois. Cela nous semble relativement court...
Pour chaque programme de résidence nous déterminons une durée, notamment en fonction des modalités de travail des différentes disciplines artistiques que nous accueillons. Certains artistes diront que six mois, c’est trop court, d’autres que c’est trop long, parce qu’ils ont un ancrage en France, une famille, des engagements professionnels, etc. Une durée de quatre à six mois est, finalement, un bon compromis. Pour les arts visuels, adopter un temps long n’est guère un problème, alors que les arts du spectacle, la musique, la danse, le théâtre, de façon générale, nécessitent souvent des durées plus courtes. À la Villa Kujoyama résident en permanence 15 à 20 artistes. Certains viennent en solo, d’autres en binôme et d’autres encore en duo avec une ou un artiste japonais avec qui il ou elle a candidaté. Nous développons également un programme de résidence d’un mois pour des artisanes et artisans d’art lauréats du prix Liliane Bettencourt pour l'Intelligence de la Main®.
CP - J’imagine que le résident a préparé un programme, prévu des contacts avec des Japonais ?
N’oublions pas que les candidats et les candidates sont sélectionnés selon leur projet. Ils sont environ 300 pour une sélection de 15 à 20 artistes. Certains projets sont parfois déjà très avancés, mais la grande majorité des artistes candidatent à la Villa Kujoyama pour être soutenus dans une phase de recherche pure. Ils savent que nous les accompagnerons, ensuite, pendant encore cinq ans. La Villa Kujoyama offre à l’artiste la possibilité d’approfondir sa réflexion, son inspiration. L’artiste doit pouvoir se nourrir de ce qu’il découvre au Japon, pays où l’on doit prendre son temps. Ce rythme fait partie de la culture, les collaborations se déroulent souvent sur un temps long, ce qui les rend d’autant plus fructueuses pour les deux parties.
CP – Vous évoquez l’accompagnement de vos résidents. De quelle manière ?
Nous suivons attentivement le développement de leur projet. Nous gardons un lien constant avec eux car, naturellement, les projets sont en perpétuelle évolution. Nous pouvons également envisager, avec lui ou avec elle, une résidence rebond dans le cadre d’un autre programme. Cette partie d’accompagnement sur le long terme, que nous appelons post-résidence, permet aux artistes de poursuivre un projet initié lors de leur séjour à la Villa Kujoyama. Nous sommes en partenariat, de façon pluriannuelle, avec certaines institutions comme le musée de la Chasse et de la Nature, l’Abbaye de Maubuisson, ou la Maison de la Culture du Japon à Paris pour, justement, permettre à des artistes, au moment où̀ l’œuvre qu’ils avaient initiée à la Villa Kujoyama prend forme, de pouvoir l’exposer, la montrer au public. Nous mettons en place différentes options, en lien avec une consultante, Sumiko Oé-Gottini, qui connaît parfaitement la France, le Japon et leurs scènes artistiques respectives. Des experts au sein de l’Institut forment aussi un relais très précieux et travaillent avec nous pour soutenir ces artistes à différents stades de leur projet.
CP – Lorsque vous faites le bilan de ces dernières années, une discipline majeure s’est-elle imposée ?
Les arts visuels représentent environ un quart des résidents ; même pourcentage pour les arts du spectacle, musique, danse, théâtre, et 14 % environ de métiers d’arts, discipline très adaptée au Japon. La pluridisciplinarité est une modalité essentielle de la Villa Kujoyama, appréciée des résidents qui, régulièrement, développent des projets avec d’autres lauréats. Les liens se tissent dans tous les moments de convivialité et d’échanges que permettent le temps long et l’accueil simultané de plusieurs créateurs et créa- trices. La résidence est donc un moment de partage créatif au sein de la Villa, mais c’est également l’occasion de se nourrir des échanges noués avec des personnes rencontrées à l’extérieur.
Une fois que l’artiste est sélectionné – artiste, de façon très large, puisqu’il peut s’agir d’art culinaire, de cinéma, de métiers d’art, dans une tradition pluri- disciplinaire –, nous effectuons un travail préparatoire avec le lauréat ou la lauréate, afin que chacun ait le temps de préciser son projet, et que des premiers rendez-vous soient pris dès leur arrivée à Kyoto. Ce programme est également une opportunité pour les professionnels japonais, avec qui les collaborations peuvent être ponctuelles ou plus régulières, de travailler pendant plusieurs mois d’affilé avec leurs interlocuteurs et interlocutrices français.
Le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller nous a permis de mettre un éclairage fort sur les métiers d’art. La Fondation connaît très bien certains des résidents qui partent pour la Villa. Pour nous, elle est à la fois un partenaire financier bien sûr, mais aussi un partenaire conceptuel, doté d’une connaissance exceptionnelle de ces métiers. Les liens qui unissent les métiers d’art et les autres disciplines – design, arts visuels, arts plastiques – sont très étroits. Le laqueur Nicolas Pinon, par exemple, qui réside à la Villa Kujoyama cette année, a reçu le prix Liliane Bettencourt pour l'Intelligence de la Main®. Son séjour au Japon lui permettra de poursuivre son exploration de la laque et de ses applications en matière de design.
CP - Vous financez et conseillez aussi des résidences dans le monde entier. Quel en est le mécanisme ?
En effet, nos ambassades, les Instituts français, les Alliances Françaises souhaitent souvent créer des programmes de résidence, et cette tendance ne cesse de croître. Pour les soutenir, l’Institut français a créé en 2018 le programme la Fabrique des Résidences. Nous les accompagnons en termes d’expertise, de suivi au quotidien et, régulièrement, nous les invitons à Paris pour des séances de formation collective. Lorsque j’étais moi- même directrice de l’Institut français du Vietnam, nous avons créé la Villa Saïgon, une résidence d’artistes, dont le concept s’est imposé par lui-même. La première résidente a été Caroline Guiela Nguyen, la metteuse en scène algéro-vietnamienne, qui avait en tête une pièce de théâtre sur le Vietnam. Elle avait besoin d’un temps où elle pourrait aller à la rencontre des Vietnamiens, nourrir son projet et trouver des comédiens. C’est alors que l’Institut français a accordé́ son soutien pour la création de cette Villa et ainsi Caroline Guiela Nguyen a pu créer sa pièce au Festival d’Avignon. Aujourd’hui, la résidence Villa Saïgon accueille de nouveaux artistes. Je pense que l’expertise technique et le conseil apporté à nos collègues partout dans le monde est une énorme valeur ajoutée. Nous accompagnons des artistes aux États-Unis, au Sénégal, au Maroc, au Japon, ce qui leur permet de dialoguer avec leurs pairs et d’en revenir enrichis. Inversement, sur le terrain, cela permet aux habitants de ces pays de faire la connaissance d’une ou d’un artiste français d’aujourd’hui. C’est aussi avec ces créateurs et créatrices, ces penseuses et penseurs d’aujourd’hui et de demain, que nous parvenons à enrichir des relations bilatérales.
DB - Prenez-vous en compte les spécificités locales dans l’accompagnement des créateurs à l’étranger ?
Bien sûr, nous élaborons notre politique de résidences d’artistes, notamment, en fonction du contexte d’accueil, mais notre propos est plus large : nous soutenons des artistes émergents ou déjà̀ reconnus qui ont besoin d’un soutien pour être plus visibles à l’international. C’est ce à quoi nous nous attelons, et aujourd’hui, dans une France de la diversité, c’est cette pluralité française que nous souhaitons voir dialoguer à l’étranger.
CP - Dans les années à venir, quelle vocation envisagez-vous pour l’Institut français ?
Nous avons longtemps pensé que notre modèle était exemplaire et que nos valeurs pouvaient convenir à tous. Aujourd’hui, ce modèle est questionné dans plusieurs pays. Et il est important, via les échanges culturels au sens large, d’amener les autres à mieux nous connaître, à connaître nos valeurs. Nous sommes fiers d’être un pays ouvert culturellement, nous soutenons les artistes, nous promouvons les créateurs et les créatrices et, à travers eux, bien plus qu’une personne ou un projet, nous promouvons une certaine vision de la société, la liberté d’expression et de création, de circulation des œuvres et des idées. C’est une culture du dialogue et de l’échange que nous souhaitons mettre en avant.
CP - Peut-il encore exister des résidences à l’heure où les visioconférences font des ravages ?
Bonne question : pour qu’une résidence existe, doit-on encore se déplacer ? Certaines personnes préfèrent rester chez elles, ne pas prendre l’avion, entrer en contact avec d’autres par l’intermédiaire du numérique, de l’écran...
À titre personnel, je pense que cela ne durera qu’un temps. Chacun peut se dire, comme au moment du Covid, « je peux le faire, j’ai appris à le faire sur Internet ». C’est très pratique, mais j’ai du mal à croire que cela puisse remplacer totalement le voyage, la rencontre avec l’autre. Nous sommes des êtres de chair, de fluides, d’ondes, et si nous nions cela, nous nions aussi notre nature humaine. Cela étant, j’ai mis au cœur de mon projet d’établissement pour l’Institut français la question de la responsabilité environnementale et de la décarbonation raisonnée de nos actions. Nous veillerons ainsi à ce que l’ensemble de nos programmes de résidences intra-muros comme hors les murs intègrent ces défis qui nous obligent.
Philippe Trétiack
Paul Claudel, qui fut ambassadeur au Japon, s’étonnait que l’on ait pu construire une capitale sur un couvercle de chaudière. Parcouru de forces telluriques, l’élégant archipel bouillonne dans ses sous-sols. Les sources d’eau chaude dont ses habitants sont friands constituent l’un des aspects bénéfiques de cette agitation inquiétante. Les pensionnaires de la Villa Kujoyama, à Kyoto n’ignorent rien de ce paradoxe qui veut que le Japon soit simultanément terre de douceurs et de violences mêlées. Mieux, ils trouvent dans ce chaos dissimulé sous le vernis d’une civilisation captivante et magnifique le fuel de leurs travaux. Designers, cinéastes, vidéastes, peintres, parfumeurs ou architectes, tous se retrouvent dans la macération d’un climat où les touffeurs alternent avec les chutes de neige. La Villa est un poème que rythment les saisons.
Sise sur le mont Higashi, non loin des sublimes temples zen d’une Kyoto épicentre des traditions, la Villa étire son architecture moderniste, dessinée il y a trente ans par Katō Kunio. Plus qu’une création, l’inauguration de cette Villa en 1992 fut une renaissance.
C’est en 1926, lors de son mandat d’ambassadeur de France au Japon, que Paul Claudel agit pour que soit fondée la Société de rapprochement intellectuel franco-japonais, qui donnera naissance à l’Institut franco-japonais du Kansai. Le but de cette institution était alors de rapprocher les cultures japonaise et française, d’ancrer « dans un contenant japonais du contenu français ». Inauguré le 5 novembre 1927, l’Institut fut transféré en 1936 dans des locaux situés non loin de l’université de Kyoto. Les années passèrent durant lesquelles le bâtiment du mont Higashi se dégrada. En 1986, la Société de rapprochement intellectuel franco-japonais, fidèle toujours aux idées de Paul Claudel et d’Inabata Katsutarō, décida de construire un nouveau Centre franco-japonais pour les échanges et la création, et le 5 novembre 1992, la Villa Kujoyama telle qu’on la connaît aujourd’hui était inaugurée, renouant ainsi avec sa vocation de lien civilisationnel. En 2013, la Villa a dû fermer ses portes pour être rénovée. Les travaux ont alors été menés grâce au soutien de Pierre Bergé et de la Fondation Bettencourt Schueller. Elle a rouvert en 2014.
Une bulle inspirante dans les hauteurs de Kyoto
À proprement parler, cette Villa, belvédère sur la ville, n’a rien d’une icône. C’est un ensemble de bâtiments fonctionnels en béton. Édifiée dans la pente du mont Higashi, nourrie d’escaliers, la Villa relie les ateliers entre eux grâce à ses espaces communs, véritable richesse du bâtiment car propices aux échanges informels. Les six studios-ateliers en duplex de 64 m2, alignés le long de la colline ont tous leurs fenêtres ouvertes sur la montagne et ses forêts d’érables et de cèdres. Les espaces collectifs et les terrasses regardent, eux, vers la ville. L’architecture de l’ensemble veut favoriser la concentration, le repli, mais encore une certaine fraternité dans les échanges entre les résidents, ainsi qu’entre les résidents et leurs interlocuteurs locaux. Bien qu’un séjour à la Villa ne soit assorti d’aucune obligation de résultat, les productions et restitutions sont courantes. Le lieu, véritable incubateur d’imaginaire, favorise l’inspiration.
Au sein de l’Institut français de Paris, une équipe dédiée accompagne les lauréats avant leur départ et à l’issue de leur résidence. Sur place, cinq personnes, françaises et japonaises, gèrent la vie courante, travaillent aux côtés des artistes et sont la première porte d’entrée vers la culture japonaise. Ils accompagnent les pensionnaires, les aiguillent dans leurs recherches, leurs servent de traducteurs, même s’il est vrai que les artistes, souvent, se comprennent par leurs gestes et leurs créations. Les équipes sur place sont particulièrement attentives à trouver les interlocuteurs japonais prêts à dialoguer avec les lauréats, dans un apport mutuel de recherche, de connaissance, d’inspiration et de création. Artistes, professionnels de la culture, artisans, laboratoires de recherches, prospecteurs, industriels, chercheurs sont sollicités. Depuis son ouverture en 1992, plus de 400 lauréats ont séjourné à la Villa. Parmi les plus anciens bénéficiaires de cette résidence, certains sont devenus fort célèbres, comme Ange Leccia, Dominique Gonzalez-Fœrster et par la suite Éric Baudelaire, Céline Wright, Pierre Charpin, Olivia Rosenthal, Jean-Luc Vilmouth, Catherine Meurisse, Jean-Philippe Toussaint, Gisèle Vienne, Rithy Panh et beaucoup d’autres. À chaque session, l’appel à candidatures est ouvert à toutes les disciplines et plus de 300 dossiers sont reçus. Il est possible de postuler seul, mais également en binôme, y compris en duo avec un Japonais. Sur place les résidents reçoivent une allocation mensuelle de 2 100 euros pour les artistes en solo et 1 600 euros par artiste lorsqu’ils sont en duo. On peut encore postuler en famille. L’institution propose alors une bourse complémentaire pour permettre aux lauréats de se loger à l’extérieur de la Villa tout en conservant le studio pour y travailler.
Les dossiers des postulants sont examinés par des personnalités extérieures et des experts de l’Institut français, qui les passent au crible lors des phases de présélection. Puis les postulants, une cinquantaine, sont reçus et auditionnés par un jury final.
Rapprocher des lointains pour faire surgir l’insoupçonné
Destinés à séjourner de quatre à six mois à la Villa, les lauréats sont donc au nombre de 12 à 15 chaque année. Sous l’impulsion de la Fondation Bettencourt Schueller, les métiers d’art, dont le Japon avec ses « trésors vivants » est un réservoir, a fait son entrée parmi les projets soutenus et retenus pour des résidences. On y a vu des plumassiers, des orfèvres, un parfumeur... La liste des disciplines désormais concernées par la Villa Kujoyama est impressionnante : architecture, arts de la rue (cirque, marionnette), création numérique, arts plastiques, bande dessinée, cinéma, critique d’art et commissariat d’exposition, danse, per- formance, design, graphisme, art culinaire, littérature, métiers d’art, mode, musique, photographie, théâtre... Il faut pour postuler être français ou résider depuis au moins cinq ans sur le sol français, ce qui explique la variété des profils retenus, de nombreux artistes étrangers pouvant prétendre à cette résidence. Il n’est pas rare que des lauréats de la Villa Kujoyama aient, au préalable, effectué des résidences à la Villa Médicis comme à la Casa de Velázquez. Le parcours d’un artiste est souvent jalonné de séjours en résidences. L’âge moyen des lauréats est de 40 ans.
Au retour, une fois achevé le séjour au Japon, les anciens résidents bénéficient d’une phase d’accompagnement post-résidence durant cinq années. Ceci permet de juger de l’impact de cette expérience sur le développement de leurs travaux. Un soutien en termes de diffusion est également prodigué. Un réseau des anciens permet à chacun de rester en contact avec ceux qui bénéficièrent, en leur temps, d’une opportunité similaire. Une résidence à la Villa Albertine, aux États-Unis, peut éventuellement être attribuée aux anciens lauréats en métiers d’art.
Pour tous, initiateurs comme bénéficiaires de ce programme d’échange, l’important demeure ce déplacement du regard que le Japon induit chez ceux qui y séjournent. La force du lieu permet à chacun de décrocher de la réalité pour plonger dans un autre univers, imperceptible encore, peut-être déjà̀ là, niché dans l’inconscient de l’artiste. En rapprochant les lointains, l’insoupçonné́ surgit.
Une Villa profondément ancrée au Japon
Jordane de Faÿ
Fondée en 1992 sur les bases du premier Centre culturel franco-japonais créé en 1926, la Villa Kujoyama naît sous le signe de l’entente interculturelle. Elle veille activement au renforcement des liens qu’entretient la scène française avec les acteurs locaux et internationaux. La multiplication des pro- grammes de résidences d’artistes à travers le monde en témoigne : ces dispositifs sont un des meilleurs outils pour l’entente et la coopération à long terme entre deux pays. « Ces lieux permettent d’établir des liens forts et durables entre des scènes artistiques, avec des moyens financiers bien moins importants que l’organisation d’expositions patrimoniales d’envergure », note Charlotte Fouchet Ishii, à la tête de la Villa Kujoyama de 2017 à 2021. Une période charnière durant laquelle la résidence connaît de nombreux changements qui font suite à sa réouverture en 2014.
Des relations bilatérales renforcées
Avec un dispositif ad hoc, les binômes franco- japonais font aujourd’hui partie intégrante de la Villa et, s’ils ne représentent que 5 % des résidents, le nombre de candidatures en duo s’est accru au fil des années. À l’instar de l’écrivaine Ryōko Sekiguchi et du designer Felipe Ribon, il s’agit souvent de créateurs qui se connaissent de plus ou moins loin, et à qui la résidence offre le moyen d’approfondir le lien. L’année 2014 signe également l’arrivée de la Fondation Bettencourt Schueller comme mécène principal, et par ce biais l’ouverture des résidences aux métiers d’art qui, comme les duos, sont des ressorts pour la valorisation des savoir- faire français et japonais, qui se nourrissent mutuellement. « Jusqu’à sa réouverture, la Villa avait quelque chose d’une enclave française. Aujourd’hui, elle entretient des relations avec plus de 6 000 professionnels des arts au Japon », précise l’ancienne directrice. Ce réseau, bénéfique à la visibilité des résidents – dont les projets sont toujours en lien avec le territoire et/ou la culture japonaise –, se traduit aussi par des partenariats avec les institutions culturelles locales. Au cours des dernières années, de multiples événements ont été co-organisés par la Villa Kujoyama avec le Kyoto Art Center, la Nuit Blanche à Kyoto, la Fondation Sasakawa, le Top (musée de photo- graphie de Tokyo), Digital Choc (festival des arts numériques de Tokyo) ou encore Le Mois de la France à Yokohama. Ces manifestations, tout comme les rencontres, lectures et expositions organisées au fil de l’année à la Villa Kujoyama, attirent un public en grande majorité japonais. Parallèlement, la Villa a noué des liens avec les différentes universités et écoles d’art japonaises, qui ouvrent aux lauréats les portes de leurs ateliers, fours à céramique, studios d’impression 3D, chambres noires...
D’une enclave française à un carrefour international
L’ensemble de ces liens tissés permet également aux artistes de la Villa Kujoyama d’être accueil- lis au sein d’une des nombreuses résidences d’artistes japonaises lors de leurs déplacements dans l’archipel. De son côté, la Villa Kujoyama accueille depuis 2014 des artistes japonais de passage à Kyoto. Pendant la pandémie de Covid, toutes les chambres et espaces de la Villa ont été mis à la disposition d’une cinquantaine d’artistes japonais, dont la production était en peine avec des frontières fermées et des ateliers perdus. « Cette initiative a permis d’obtenir une nouvelle reconnaissance au Japon comme un lieu de dialogue », explique encore Charlotte Fouchet Ishii. Un point de vue partagé par l’éditeur et producteur Tetsuya Ozaki, à la tête des magazines Real Tokyo et Real Kyoto, qui renseignent sur la vie culturelle. Attaché à faire découvrir les intellectuels français auprès du public japonais, il note que « depuis la pandémie, la Villa Kujoyama connaît un regain de vie. Les événements et échanges interculturels organisés dans son enceinte se sont multipliés, ce qui a permis d’affirmer sa présence et reconnaissance auprès des acteurs locaux ».
Le programme de post-résidence, lancé il y a huit ans, inscrit quant à lui les projets dans le temps long. Désormais, le suivi des lauréats se fait en amont et en aval de la période kyotoïte, avec une préparation des projets entamée bien avant le départ des lauréats, lors de rendez- vous avec l’équipe de la Villa Kujoyama et une experte chargée de poursuivre cet accompagnement après leur retour en France. En amont, l’équipe de la Villa identifie les personnes et institutions japonaises dont la rencontre pourrait être enrichissantes pour l’artiste français. En aval, l’objectif est de donner une visibilité à des recherches amorcées lors de la résidence. « La résonance du temps de résidence sur la production artistique peut se faire ressentir bien des années après, indique Samson Sylvain, attaché culturel à l’Institut français du Japon. Nous accueillons régulièrement des projets qui se déploient dans la durée, ou s’étendent sur le terrain. La Villa est ainsi devenue un point de ralliement, à la fois dans l’espace et dans le temps, pour les anciens et actuels résidents, mais aussi leurs pairs japonais. »
Regard vers l’avant
Un rôle que la Villa prend au sérieux : la demeure artistique s’est ralliée à son homologue allemand – la Villa Kamogawa, fondée en 2011 par le Goethe-Institut sur le modèle de la Villa Kujoyama – et aux institutions culturelles de l’Institut Cervantes et de la Délégation Wallonie-Bruxelles pour créer un cluster EUNIC pour la région du Kansai. Chapeauté par l’Union européenne, le programme « European Union National Institutes for Culture » fédère en 136 clusters, aux quatre coins du monde hors UE, les différentes organisations européennes d’une ville ou d’une région afin de renforcer leurs collaborations. Le cluster de Kyoto promet de consolider les liens d’échanges entre les institutions internationales présentes sur le territoire, notamment en matière de mobilité des artistes, mais aussi d’enrichir davantage l’accompagnement de leurs projets. De quoi renforcer la visibilité de la Villa et d’asseoir son rôle en tant que lieu de diplomatie culturelle effective.
Trente ans après son ouverture, quels sont les grands enjeux de la Villa ?
Cet anniversaire, qui coïncide avec mon arrivée à la Villa, est un moment propice à la réflexion. À l’aune des débats contemporains (inclusion, égalité, écologie...) et dans un contexte de multiplication des programmes de résidences privés et publics, nous devons réinterroger son modèle et réaffirmer ses spécificités. Revaloriser la Villa comme un lieu de recherche, un temps de liberté où l’errance est précisément la destination, rappeler la richesse des disciplines que défendent les résidents et l’accompagnement sur mesure dont ils disposent.
Comment comptez-vous développer le programme de résidence ?
La Villa est un lieu avant tout dédié aux artistes. L’idée est de leur offrir une immersion dans la culture japonaise, ses modes de vie, ses techniques de création. Nous allons continuer à développer les rencontres entre les résidents et leurs homologues locaux, sans cloisonnement de discipline. Nous proposerons aussi des cours de japonais, car la façon dont la langue est construite donne énormément de clés pour comprendre la pensée du pays. Le mot japonais komorebi veut dire « la lumière du soleil qui filtre à travers les arbres ». C’est aussi cela que recherchent les artistes : une autre façon d’être au monde et d’aborder le réel. Par ailleurs, je souhaite développer les échanges entre les nouveaux et les anciens lauréats, avec un système de parrainages ou de tutorats.
Quel est le mot d’ordre pour vos trois années de mandat à venir ?
La Villa doit rester un lieu de recherche. S’il n’est pas facile de rendre compte au public d’un travail en cours d’élaboration, il nous faut chercher à partager avec l’extérieur ce qui se noue à l’intérieur. Les partenariats avec des institutions culturelles françaises et étrangères sont fondamentaux. Dans les événements et rencontres post-résidences, le travail de recherche des artistes durant leur temps à la Villa est mis en lumière comme une première étape cruciale, avant que la mise en œuvre des projets ne se fasse plus tard. La notion de partage doit aussi se décliner sur le terrain local. La Villa est bien connue des professionnels, mais elle reste à être découverte d’un public moins averti. L’ouverture mensuelle au grand public pourrait être une façon d’instaurer un lien régulier avec les habitants de Kyoto. Le partage des projets des résidents doit aussi se faire avec le développement des réseaux sociaux et d’un nouveau site afin d’accroître leur visibilité́.
Jordane de Faÿ
Johann Fleuri
Après trois années de pandémie qui ont bouleversé son fonctionnement, la Villa Kujoyama retrouve enfin son rythme habituel avec l’ensemble des résidents. Lauréates et lauréats en métiers d'art, musique, danse, entre autres, ils sont 15, cette année, à venir entamer une recherche à Kyoto. Reconnaissants de la chance qui leur est offerte, avides d’apprentissages et de découvertes, les artistes apprécient chaque minute de cette résidence d'exception, une expérience japonaise qu'ils n'oublieront jamais.
Perchée sur le flanc du mont Higashi, à l'est de Kyoto, la Villa Kujoyama impose, impressionne, intimide aussi un peu. En plein mois d'août, les semi – les cigales japonaises – s'époumonent. La chaleur écrasante, rythmée par les averses, brèves mais qui vous trempent jusqu'aux os, plonge le belvédère dans un environnement tropical. Les escaliers de pierres qui mènent à la Villa sont bordés par de petites maisons en bois. Mais très vite, les pavés deviennent sentier, une fois le pont du canal du lac Biwa franchi. Le chemin, de plus en plus grignoté par la végétation, fait-il basculer de la réalité au rêve ? La nature semble en tout cas reprendre ses droits. Il est possible de croiser des singes, des chevreuils et même des sangliers, préviennent les locaux. La Villa se mérite. Et la touffeur de l'été kyotoïte nourrit cette atmosphère mystérieuse, hors du temps, qui insuffle l'énergie créatrice des résidents de la Villa Kujoyama depuis maintenant trente ans.
Ils s'appellent Céline Wright, Karin Schlageter, Yūko Ōshima, Anne-Sophie Turion, Éric Minh Cuong Castaing. Ils sont lauréates et lauréats en métiers d'art, critique d'art, musique et danse à la Villa Kujoyama et font partie des 15 résidents 2022. En quelques décennies, la Villa Kujoyama, la VK pour les intimes, est devenue l’une des plus prestigieuses résidences artistiques que la France administre à l’étranger, en coordination avec l’Institut français – l’opérateur culturel du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du ministère de la Culture. Tant d'artistes rêvent d'y résider, et ce soir-là, sur la terrasse qui surplombe une forêt d'érables et de cèdres, les résidents se retrouvent autour d'un verre d'umeshu (liqueur de prune), tout en admirant un panorama à cou- per le souffle sur l'ancienne capitale du Japon. L'une vient juste de prendre possession de son atelier et souffre encore du décalage horaire, l'autre, la mort dans l'âme, est sur le départ. Mais tous sont heureux, reconnaissants et grisés par la chance qui leur a été offerte de venir travailler ici.
En effet, durant plusieurs semaines ou plu- sieurs mois, c'est dans une certaine allégresse que les résidents vont partager cette vie en communauté au rythme des allers et venues de chacun. L'intérieur de la Villa est tout aussi impressionnant que l'extérieur. Sa hauteur de plafond continue de lui conférer cette allure de forteresse imprenable. Les espaces communs, comme le hall d'entrée et la terrasse, sont orien- tés vers la ville tandis qu'à l'étage, les studios des résidents, qui leur servent d'atelier et de lieu d'hébergement, sont tournés vers la montagne, ce qui accentue le sentiment de réclusion. Le temps de leur séjour, les résidentes et les rési- dents ont la charge de l'entretien de leur espace et ont à disposition une cuisine commune qui permet des rencontres impromptues et facilite les échanges. Solitude et concentration côtoient ainsi aisément les moments de convivialité.
Une fascination pour la culture japonaise
La Villa Kujoyama, cette promesse d'une retraite introspective et créatrice, « facilite l'organisation de la pensée », explique Karin Schlageter, lauréate en critique d'art. Sur les murs de son atelier si haut de plafond, la jeune curatrice de 34 ans a punaisé une multitude de pense-bêtes. Des expos à ne pas manquer, des références de livres, des notes, des haïkus qu'elle s'astreint à écrire chaque jour. Comprendre, analyser, décrypter ce pays où elle s'est installée pour six mois est un défi pour celle qui se « sent toujours en phase de découverte ». Comme beaucoup de trentenaires, Karin tombe dans la culture pop japonaise par le biais des mangas et des animes. Ce n'est que beaucoup plus tard, dans le cadre de ses études, qu'elle « saisit la spiritualité qui émane de l'archipel ». Lors d'un premier voyage en 2014, elle se heurte à une vision différente de l'art contemporain et découvre le travail de la lumière naturelle. « En Europe, on utilise l'électricité́. Au Japon, alors que j'admire des travaux d'ikebana, je réalise à quel point toute la mise en scène autour de l'œuvre est clé : le souci infini du détail, rien n'est laissé au hasard. La lumière naturelle, qui évolue au fil de la journée, est aussi primordiale : cela m'a fascinée et a bouleversé ma vision de l'éclairage. »
Une rencontre avec le Japon qui lui apporte, à l'époque, « peu de réponses et tellement de nouvelles questions ». La boîte de Pandore était ouverte. Trouver un moyen de revenir était indispensable. Heureuse de pouvoir creuser davantage grâce à la Villa, la barrière culturelle et linguistique continue de l'empêcher et la frustre : « Je reste sur le seuil de la rencontre, se désole-t-elle. C'est difficile car le lien social est primordial dans mon métier, je cherche avant tout à découvrir une personne, avant de pouvoir apprécier ses travaux artistiques. » Mais elle modère son impatience, consciente du contexte privilégié dans lequel la Villa lui permet d'évoluer : « Les équipes nous aident à dépasser tant de barrières. »
Céline Wright a tout autant soif d'apprendre. Créatrice de luminaires en papier washi et lauréate en métiers d'arts, elle veut explorer, tout toucher et sentir. D'Echizen, dans la préfecture de Fukui, à Naoshima, dans la mer intérieure, elle part sur les routes à la rencontre d'artisans qui lui mettent dans les mains des matériaux uniques : « J'ai besoin de sentir la pulpe du papier sur mes doigts. » Pour cette femme de poigne, à la tête d'une entreprise de dix salariés qui travaille avec les plus grands hôtels du monde, la Villa Kujoyama, c'est « une parenthèse unique pour inventer, expérimenter ». « Cela fait vingt-cinq ans que j'ai la tête dans le guidon. Quel bonheur de pouvoir me consacrer à la recherche ! Cette vie d'ermite, dans ce cadre presque monacal, c'est une aventure en soi. » Une réflexion autour de la matière, sans cesse bousculée par la rencontre et la découverte. Avec plaisir, elle se laisse chahuter, surprendre. « J'ai toujours cru à la beauté de l'art dans le quotidien », sourit-elle. Une vision somme toute japonaise de l'artisanat qui n'est pas étonnante de la part de Céline, imprégnée du Japon, puisqu'elle a vécu à Tokyo de l’âge de 8 ans à l’âge de 13ans: « Je me souviens des bols de udon (nouilles épaisses de blé) que je mangeais avec mon frère. Mais aussi des bentos : à l'époque, les contenants étaient en bois, avec des emballages incroyables. » Lorsqu'elle crée son premier luminaire en forme de cocon, la pièce phare de son atelier basé à Montreuil, c'est en papier washi qu'elle le conçoit. « J'ai toujours voulu revenir au Japon, mais il me fallait une raison, un projet. La Villa m'a offert cette opportunité. »
En ce bouillant après-midi d'été, Céline a rendez-vous avec Sadaharu Inoue, artisan spécialiste du bambou, responsable d'une entreprise familiale centenaire dont il est l'héritier. Dans l'optique d'une installation au musée Kyocera, Céline cherche à structurer un cocon de plus de quatre mètres de long : du bambou pourrait être la solution. Dans un anglais approximatif mais efficace, ces deux artisans d’art d’exception s'interrogent, multiplient les croquis, font de grands gestes et se comprennent très bien. « L'entreprise de créer un tel objet est un challenge, reconnaît Sadaharu Inoue. On sort de notre zone de confort, on va y arriver. » Confiants, Céline et Sadaharu se retrouveront quelques semaines plus tard dans l'auditorium de la Villa pour les premiers essais. Le jour de l'installation, dans le cadre de la Nuit Blanche de Kyoto, « une performance sera réalisée avec Hiroshi Ueta, un calligraphe avec qui j'ai déjà travaillé à Paris », explique Céline. Les deux artistes lieront leurs savoir-faire : l'encre et la struc- ture gigantesque en papier. Hiroshi Ueta, qui travaille la calligraphie depuis l'âge de 5 ans, aime tester de nouveaux médias et veut sortir du cadre : ses mots, il les tracera en 3D. Le thème est décidé : des messages forts autour de l'environnement et du climat seront projetés. « On veut surprendre, interpeller. »
Des rencontres exceptionnelles
La collaboration possible avec le tissu local d'artisans est un puits de richesses. Sous l’impulsion de la Fondation Bettencourt Schueller, mécène principal de la Villa depuis 2014, les métiers de la main et l’artisanat d’art sont des disciplines désormais primées. Lauréate du prix Liliane Bettencourt pour l'Intelligence de la Main®, Mona Oren était invitée à venir partager le quotidien des résidents pour un mois. Dans le cadre de sa recherche axée autour de la bougie warosoku, l'artiste, spécialisée dans le travail de la cire, découvre une version entièrement végétale de sa matière fétiche, fabriquée à partir d'haze, un fruit qui ne pousse que dans le sud du Japon. « J'ai découvert un trésor », s'enthousiasme-t-elle. Lors d'une présentation faite à ses collaborateurs japonais, Mona est émue de réaliser ses tulipes à partir d'un mix de sa propre cire synthétique et de celle d'haze. « J'aimerai rester, regrette Mona. J'ai encore tant à découvrir. À la Villa, nous sommes dans une bulle. »
Une impression qui fait particulièrement écho au sujet de recherche d'Anne-Sophie Turion et Éric Minh Cuong Castaing, lauréats en danse, qui ont choisi de s'attaquer à une question de société qui touche le Japon (mais pas seulement) : la réclusion sur soi. Ici, on les appelle les hikikomori. Anne-Sophie et Éric ont travaillé avec une association de réinsertion de ces personnes qui ne sortent plus de chez eux, dans laquelle travaille Nicolas Tajan, chercheur en santé mentale et auteur de Génération hikikomori, aux éditions L'Harmattan. « Notre propos est de tenter de définir l'espace de l'intimité pour ces personnes qui vivent confinées », explique Anne-Sophie. Dans le cadre de ce projet, les deux artistes ont fait des rencontres exceptionnelles. « Shizuka, notamment, une ex-hikikomori, raconte Éric. Hypersensible, elle parle sans filtres. Elle nous a raconté ses sorties la nuit à vélo (pour éviter de croiser des gens) et la pluie qui parfois roulait sur ses joues. Il y avait beaucoup de poésie dans sa façon de relater cette anecdote. Elle a un truc de comédienne. » Pour Anne-Sophie et Éric, c'est une certitude, le projet se poursuivra au-delà̀ du temps de la résidence.
Repartir... ou pas
Dix ans après sa résidence, Alexandre Maubert vit toujours à Kyoto. Il se souvient avec émotion de ses quelques mois à la Villa : nous sommes en 2012, il est lauréat en arts numériques. Les moments de joie, de doutes et sur- tout le soutien des autres résidents « qui sont devenus des amis pour la vie ». De la même promotion que l'auteur Éric Faye, Alexandre se remémore cette collaboration : « Il écrivait un texte, je composais la musique. » Des synergies qui naissent et des ponts qui se forment entre disciplines artistiques. Une fois sorti de la Villa, Alexandre décide de rester. « Il fallait alors se débrouiller tout seul. » Au pied de la montagne, il a la détermination de la gravir. « Au Japon, il faut accepter de redevenir une page blanche. Nos expériences passées ne comptent plus : il faut repartir de zéro. » Il ajoute : « Lorsque l'on est à terre, il faut se relever. » Son caractère de battant, les bonnes rencontres au bon moment, l'humilité dont il fait preuve dans sa démarche feront le reste. Artiste pluridisciplinaire, Alexandre Maubert a désormais son atelier et studio à Kyoto, où il est considéré comme un artiste local, « la reconnaissance » dont il rêvait. Il sculpte, créé des objets, travaille la photo, s'adonne à la musique aussi. Cet automne, il sort son premier album électro : il a choisi de le baptiser Made in Kyoto. Évidemment.
Sous l’impulsion de la Fondation Bettencourt Schueller
Sarah Hugounenq
L’intérêt de la Fondation Bettencourt Schueller pour la Villa Kujoyama n’allait pas de soi. Le mécène français engagé depuis vingt ans au service du rayonnement des métiers d’art accompagne pourtant depuis 2014 la résidence artistique installée à Kyoto en 1992. Au programme : financement de la seconde phase de rénovation engagée par l’Institut français, soutien aux frais de fonctionnement et aux activités culturelles. Cet appui massif n’est que la partie immergée de leur mécénat. « Ce qui nous tenait à cœur, se souvient Hedwige Gronier, responsable du mécénat culturel à la Fondation, était d’ouvrir la Villa aux métiers d’art en instaurant un nouveau programme de résidence. Jusqu’alors, n’y étaient accueillis que des artistes, musiciens, écrivains, chorégraphes... » Et Olivier Brault, directeur général de la Fondation, de poursuivre : « La Villa Kujoyama était devenue un lieu de retraite. Il fallait l’ouvrir sur la scène kyotoïte, capitale des arts appliqués. » Au fil des ans, ce territoire est devenu un espace d’intermédiation entre créateurs et savoir-faire traditionnels japonais. Lors de sa résidence en 2015, Aurore Thibout a revisité la soie chirimen, une technique de tissage traditionnel usitée depuis plus de mille ans à Kyōtango, au nord de Kyoto. « J’ai interprété une étoffe de bois tissé et de soie, innovation technique de Tamiya Raden [atelier local spécialisé dans le tissage raden, avec incrustation de coquillages, NDLR], explique-t-elle. J’ai créé une pièce carapace pour le rituel dédié à la célébration des fleurs, l’ikebana, afin d’évoquer ce qui nous traverse, nous compose du monde végétal et animal. »
En huit ans, la Villa s’est transformée en un lieu de confluence des pratiques artistiques et artisanales de pointe, un lieu de découverte culturelle mutuelle. Diplômée de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, Marion Delarue est allée étudier en 2019 les ornements capillaires au musée Kushi-Kanzashi, aux collections uniques au monde sur ce sujet. « Grâce à une traductrice, j’ai pu m’entretenir pendant une journée entière avec le conservateur, explorer les collections, et aborder les techniques de mise en œuvre du bois avec un maître produisant les masques nô, mais aussi de l’os, du jade, du coquillage ou du sabot de cheval », se remémore-t-elle. « Ces deux cultures se sont choisies pour s’aimer et s’admirer l’une l’autre.
La relation culturelle franco-japonaise est magique car nous sommes fondamentalement différents », glisse Olivier Brault. De cette dis- tance, la Fondation a su en faire une force grâce à l’accompagnement en amont des artisans. Avec l’aide de deux personnes dédiées, l’une en France, l’autre au Japon, le laps de temps qui sépare le choix des résidents du démarrage effectif de la résidence est mis à profit pour identifier et contacter les interlocuteurs japonais adaptés à chaque artisan. C’est ainsi que la doreuse sur bois Manuela Paul-Cavallier, première lauréate en métiers d’art en 2014, obtînt un rendez-vous avec les doreurs du Pavillon d’argent à Kyoto dès le lendemain de son arrivée.
Marque de fabrique de toute la politique de mécénat de la Fondation, cet accompagnement se poursuit après la résidence. « Établir les contacts avant l’arrivée permet de rendre la résidence plus efficiente pour profiter de chaque jour sur place, explique Hedwige Gronier. Cette dimension de recherche, d’initiation à d’autres savoir-faire explique pourquoi nous n’imposons pas de résultat. Face à la volonté des résidents de produire une œuvre, nous avons fini par ajouter un accompagnement financier à cet effet, à leur retour en France. » Le joaillier Karl Mazlo a mis à profit les techniques de forge de l’acier damassé, appris lors de sa résidence en 2016, dans la pièce Black Garden, lauréate du prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main® en 2021. « La confrontation à différentes techniques, même si elles n’aboutissent pas toutes à des choses concrètes immédiatement, permet de penser autrement », reconnaît l’artiste. Clé de voûte du succès, la revalorisation du temps long a permis à la Villa Kujoyama d’inscrire les métiers d’art comme pratique artistique à l’étranger.
Pourquoi avoir choisi de mener votre mission de défense des métiers d’art via un détour par le Japon ?
Nous cherchions à combattre la méconnaissance de nos savoir-faire en France. Les autres pays les célébraient plus que nous-mêmes ! Leur reconnaissance devait donc passer par un rayonnement international. Cette idée a mûri lors d’un voyage au Japon, alors que nous travaillions la politique de défense des savoir-faire japonais comme source possible d’inspiration pour la France. Nous avons rencontré les équipes de l’Institut français à la tête de la Villa Kujoyama. En cours de rénovation, le lieu avait besoin de relancer son programme de résidence. L’occasion était là.
Il s’agissait d’une résidence exclusivement artistique. Pourquoi y avoir introduit des artisans d’art ?
Ouvrir la résidence devait estomper la hiérarchisation des disciplines, faire reconnaître que certains artisans d’art sont des artistes. À ce titre, ils ont une pratique créatrice qui mérite d’être éligible à la résidence artistique. Le résul- tat est si satisfaisant que nous avons depuis répliqué́ l’expérience à la Villa Médicis, à Rome, et à la Villa Albertine, à New York.
À la différence des résidences artistiques habituelles, l’apprentissage des artisans est dégagé de toute exigence de production. Pourquoi ?
La liberté et la confiance sont les maîtres-mots d’une résidence réussie. Un artiste est fondamentalement un chercheur. Plus on laisse de liberté à un chercheur, plus son travail sera fécond, et les découvertes nombreuses et importantes. Cela se conçoit particulièrement dans le domaine médical, dans lequel la Fondation est par ailleurs engagée. Le principe se retrouve en art. Ne pas imposer un résultat, c’est favoriser les possibles. Pas un résident depuis 2014 n’est revenu indemne de sa résidence à Kyoto. Ce moment diffèrent invite à casser la poursuite d’un chemin tracé.
Maïlys Celeux-Lanval
Ils sont danseurs, plasticiens, architectes, auteurs, designers... Sélectionnés pour partir en résidence à la Villa Kujoyama, ils nous racontent ce que fut pour eux cette expérience unique. Y compris, pour certains, durant la récente pandémie. Leurs rencontres, leur travail au quotidien, l’expérience dépaysante du Japon, l'impact sur leur carrière... Témoignages vibrants de semaines singulières.
Se libérer d’une logique de rentabilité
L’arrivée à la Villa Kujoyama en pleine crise pandémique a-t-elle été un choc ? Comment vous êtes- vous approprié cet environnement de vie et de travail si singulier ?
Natacha Poutoux – Avec Sacha Hourcade, nous avions créé notre studio de design trois ans avant notre résidence. Après avoir consacré beaucoup de temps à chercher des clients et des projets, c’était le bon moment pour nous de partir, de nous plonger dans des recherches et nous libérer d’une logique de rentabilité́. Nous sommes arrivés dans un contexte particulier : après avoir su trois jours avant que nous partions vraiment, nous avons été en quatorzaine dans la Villa pendant cinq jours, chacun dans un studio. On ne pouvait voir personne... C’est un lieu qui invite à la méditation, à la concentration. Nous avons eu ensuite des temps de travail très denses, mais nous avons aussi passé beaucoup de temps en dehors de la Villa pour aller à la rencontre d’entreprises et d’artisans.
Sacha Hourcade – Oui, on a eu l’impression d’être littéralement téléportés au Japon, sans y être vraiment.
Bady Dalloul – Pour ma part, j’y suis arrivé un jour avant que le Japon ne ferme ses frontières, le 1er janvier 2021. Sur place, on ne m’attendait pas : l’équipe de la Villa Kujoyama avait presque perdu espoir de pouvoir accueillir les lauréats ! J’étais seul, je ne pouvais pas sortir. Je suis resté dans mon atelier, mais les conditions étaient exceptionnelles : j’avais un petit jardin et les ateliers sont très confortables. C’était parfait car j’étais en train d’écrire un film (Ahmad le Japonais, 2021), que j’ai réalisé ensuite : cette période de calme m’a permis de me concentrer sur ce pourquoi j’étais là. En plus, j’avais l’équipe sur place rien que pour moi !
À quoi ressemblait votre quotidien ?
Sacha Hourcade – Je me levais tôt le matin, je prenais du temps pour ritualiser les choses, pour les accepter...
Natacha Poutoux – Sacha était déjà japonais (rires) ! Personnellement, j’ai trouvé́ une forme de sérénité́ par rapport à ma façon de travailler ; je suis quelqu’un de très impatient, ça m’a forcée à prendre le temps. Avec le décalage horaire, on était moins déconcentrés par les réseaux sociaux, les messages... De retour en France, j’ai essayé de prendre plus mon temps au quotidien. C’est essentiel pour rester créatif.
Bady Dalloul – Comme j’étais allé plusieurs fois au Japon pour des projets artistiques, je savais à quoi m’attendre. Mais cette fois-là, il n’y avait pas de touristes à Kyoto, c’était exceptionnel. Je pouvais aller dans les temples où il n’y avait personne... Et je n’ai pas eu le sentiment d’avoir été impacté par le contexte sanitaire. Au contraire, j’ai l’impression d’avoir rencontré pas mal de gens grâce aux recommandations de l’équipe de la Villa Kujoyama, des gens curieux de discuter malgré le contexte anxiogène.
« Nous avons tourné quatre films en six mois ! »
Que connaissiez-vous du Japon avant d’arriver à la Villa Kujoyama ? Qu’attendiez-vous de cette résidence ?
Louise Lemoine (en duo avec Ila Bêka) – Nous avions déjà tourné un film au Japon autour de l’architecte Ryūe Nishizawa de l’agence Sanaa (Moriyama-San, 2016), et c’est la raison pour laquelle nous avons déposé notre candidature : nous avions des choses à développer. Notre travail se base sur une démarche anthropologique et culturelle, et questionne nos rapports à l’espace, qu’il soit urbain ou architectural. Notre pratique est très nomade, car nous récoltons dans différents pays des pratiques, des usages et des manières de vivre l’espace.
Quelle influence a eu le pays, son environnement et ses habitants sur votre travail et sur votre manière de penser ?
Louise Lemoine – Il faut d’abord préciser que cela a été une période très productive pour nous : nous avons tourné quatre films en six mois ! Deux font partie du projet cinématographique itinérant Homo Urbanus, un ensemble de onze films d’une heure chacun, développé dans différentes villes du monde et qui interroge : comment vit-on l’espace public d’une culture à une autre ? Quelles sont les règles silencieuses qui régimentent nos corps ? Au Japon, nous avons été impressionnés par la discipline vis-à-vis de l’hygiène et de la propreté. Tout le monde nettoie devant chez soi, devant son magasin... La rue est un espace soigné collectivement, comme s’il était le prolongement de la maison. On voit des gens qui chaque matin se promènent avec un petit sac plastique et ramassent les mégots !
Quelles ont été vos plus belles surprises ?
Louise Lemoine – On a toujours été dans une démarche de rencontres. On a donc eu des surprises, oui, constamment, mais aussi des difficultés ; on se rendait compte de l’abysse culturel entre nos deux cultures. Les codes cult rels sont tellement différents dans la relation à autrui... Les Japonais laissent entendre plus qu’ils ne prononcent : on a passé six mois à essayer d’entendre ce qui était suggéré. C’était passionnant et complexe à la fois.
Oublier l’ancrage parisien et occidental
Qu’a signifié pour vous travailler à la Villa Kujoyama ?
Emmanuelle Huynh – En tant que danseuse chorégraphe, je souhaitais comprendre les processus de fabrication de l’ikebana, des charpentes et de la cuisine kaiseki. J’envisageais une pièce chorégraphique où serait visible un autre art. Cela a donné Shinbai, le vol de l’âme en 2009, avec la maîtresse ikebana Seiho Okudaira. J’ai pensé le spectacle comme un ikebana géant de la taille d’un plateau de théâtre, dont les composantes sont, bien sûr, le vase, les fleurs, les végétaux, mais aussi le corps de Seiho Okudaira, le mien et des objets. Le rôle de l’assistante en ikebana est un ressort dramaturgique puissant.
Élodie Royer – En tant que commissaire d’exposition, j’y ai mené des recherches sur les pratiques artistiques collectives et performatives japonaises apparues après-guerre, en collaboration avec Yoann Gourmel, également commissaire. C’était aussi l’année de la triple catastrophe de Fukushima, qui a considérablement bouleversé mon expérience de recherche, et plus largement ma pratique curatoriale. J’ai depuis continué à travailler sur la manière dont la catastrophe a transformé́ la scène artistique japonaise, davantage engagée dans des questionnements politiques et écologiques. Je mène aujourd’hui un travail curatorial et doctoral au croisement de l’art, de l’écoféminisme et de la mémoire des catastrophes dans l’histoire de l’art contemporain japonais.
José Lévy – Quand j’étais à Kyoto, j’ai beaucoup voyagé. J’ai complètement oublié l’ancrage parisien et occidental, je n’écoutais aucune musique. J’ai beaucoup échangé avec mes camarades lauréats, j’ai visité́ des ateliers de fabrication de tatamis, j’ai fait les costumes du film de Christian Merlhiot (Slow Life, 2013), un autre lauréat. J’ai aussi travaillé avec les élèves de l’école française de Kyoto en poursuivant avec eux un projet autour de la céramique, des jardins et des enfants, débuté en amont à la Manufacture de Sèvres. Pour la première édition de Nuit Blanche, j’ai présenté 24 premiers jours à Kyoto, un ensemble de diptyques associant des photographies prises à Kyoto avec des images de ma bibliothèque personnelle, pour mettre en parallèle des souvenirs récents et anciens.
En quoi est-ce une résidence à part?
Emmanuelle Huynh – C’est à la fois luxueux, merveilleux et très complexe. Être au Japon constitue déjà une résidence en soi. C’est une expérience extrêmement forte. Savoir perdre du temps et ne pas arriver au but, c’est ce qu’il faut savoir supporter. Je voulais multiplier les rencontres, mais ça a été très difficile. Pour l’ikebana, j’ai atterri dans des cours de hobby... J’ai trouvé des choses que je n’avais pas cherchées : par sérendipité, j’ai vécu le choc de ma vie en découvrant à Osaka le Théâtre national de marionnette Bunraku. Par relation personnelle, j’ai réussi à être acceptée plusieurs jours dans la cuisine du restaurateur Nobu à Tokyo. Sur la durée de ma résidence en 2001, c’était toutefois assez sommaire, peu concret, mais j’ai vraiment rencontré le Japon. Dans l’après coup, en 2005, un pont a été créé entre Angers – où je dirigeais le Centre national de danse contemporaine – et les chorégraphes Kosei Sakamoto et Yuko Mori à Kyoto, avec, par la suite, des échanges d’étudiants. La Villa apporte d’autres choses que ce que l’on croit au départ. Et il faut beaucoup de persistance : la première de ce projet ikebana n’a eu lieu qu’en 2009 !
José Lévy – Ce qui m’intéressait, c’était cette bulle qu’offrait la Villa. Un espace de liberté et de travail un peu suspendu, sans obligation de production car c’est une résidence de recherche. Cela dit, j’ai fait quatre projets alors que je devais n’en faire qu’un ! C’est un espace de liberté et de pause, un luxe inouï qui m’a permis d’être encore plus prolixe et rapide.
Élodie Royer – D’abord, la résidence m’a offert un temps long et précieux de recherche, qui a fait naître par la suite de nombreux projets entre la France et le Japon (par exemple, Yoann Gourmel et moi avons introduit en France le travail du collectif japonais The Play, qui réalise des œuvres éphémères dans la nature). L’enjeu de ma pratique curatoriale réside toujours aujourd’hui dans ces aller-retours entre des pratiques artistiques japonaises et internationales : elle s’inscrit dans le contexte japonais et dans l’histoire de ses catastrophes environnementales, mais toujours en regard de résonances globales.
« Je garde en mémoire le plaisir de partager »
Quel souvenir gardez-vous de la Villa Kujoyama ?
Ange Leccia – Je garde de mon passage à la Villa Kujoyama le plaisir de partager cette expérience au Japon avec d’autres artistes. Ce fut un moment fondamen tal, car c'est à partir de ce séjour que j’ai pris conscience de l’importance des rési dences dans l’accompagnement des pro jets artistiques. Quelques années plus tard, je fondais le Pavillon au Palais de Tokyo, dans la perspective d’offrir à la jeune génération d’artistes la possibilité de découvrir Paris comme j’avais décou vert Kyoto.
Quel impact la résidence a-t-elle eu sur votre travail à long terme ? Et sur votre carrière ?
Ange Leccia – Cette résidence est venue asseoir mon statut d’artiste inter national et, depuis cette date, je n’ai eu de cesse de retourner au Japon et d’y expo ser mon travail, comme à Naoshima ou Hiroshima. La culture shintŌ a modifié profondément mon rapport à la nature. J’avais déjà filmé La Mer, mais la Villa Kujoyama m’a permis d’amplifier la transformation de mon regard sur les éléments naturels.
Inviter un collaborateur japonais à se joindre au projet
Quelles ont été vos plus belles rencontres à la Villa Kujoyama ?
Krikor Kouchian – Nous étions unis dans la même énergie créatrice. La résidence a été l'occasion d'échanger des idées et d'avancer ensemble, je pense que cela n'est pas toujours le cas dans ce genre de contexte. La rencontre avec les équipes et la direction de la Villa a été aussi une très bonne surprise. Une autre rencontre fut le lieu lui-même : la Villa et la forêt environnante ont été une inspiration profonde pour moi. Il y a eu aussi la rencontre terrifiante avec les mukade (des mille-pattes japonais, NDLR), nous avons tous cauchemardé à ce sujet !
Céline Pelcé – Les lauréats, les habitants du quotidien finale- ment, avec qui ont eu lieu beaucoup d’échanges. Le professeur de cérémonie du thé, Dairik Amae, qui m’a initiée à cet art et avec qui je continue à dialoguer, Yuki Hagino, pâtissière spécia- lisée dans les plantes sauvages et les écosystèmes ruraux...
Flore Falcinelli – Il y a eu des rencontres à l’intérieur et à l’extérieur. Dans la Villa, j’ai eu une collaboration très fertile avec Céline Pelcé : nous avions des préoccupations communes, et les avons réunies dans un repas jardiné anthropo-décentré : les invités devaient jardiner, creuser la terre pour trouver les objets et la nourriture... À l’extérieur, je citerais la céramiste Ikoma Keiko, avec qui j’ai suivi des cours sans langue commune et alors que je n’avais jamais fait de céramique avant. C’est un autre type de rencontre artistique, uniquement par le geste.
Alexandru Balgiu – De mon côté, je navigue pas mal dans les écoles d’art en tant qu’enseignant et intervenant. C’était donc important pour moi de me sentir dans une école libre : on avait des espaces et une équipe à disposition, on était vraiment immergés... Au départ, chacun est venu avec une discipline attribuée ; puis, nous avons développé une approche intermédiaire, qui brouillait les limites de ce que pouvaient être l’écriture, le design, l’expérience gustative... Nous nous sommes retrouvés dans cette énergie commune, à la frontière des disciplines.
Marcus Borja – J’ai rencontré́ beaucoup de monde par le théâtre, j’ai fait trois performances chorales avec 30 personnes chacune. J’ai beaucoup voyagé : je suis allé dans une vingtaine de villes différentes à la recherche de sons, de voix, de saveurs, de partenaires... Il serait impossible d’en choisir une. Mon travail est lié à la polyphonie, donc ma plus belle rencontre a été celle que j’ai faite avec le pays dans toute sa diversité.
La résidence favorise-t-elle les collaborations ? Quelles ont été les vôtres ?
Krikor Kouchian – Même si habituellement les artistes sont assez solitaires, les collaborations ont été nombreuses durant cette saison 2021. D'une certaine façon, nous étions isolés mais ensemble. Cela peut paraître contradictoire, mais je pense que la quatorzaine en isolement que nous avons dû faire en arrivant a été une grande chance, cela nous a rapprochés et permis d'apprivoiser les lieux. J’ai fait deux collaborations avec d'autres artistes, des performances mêlant nos disciplines : d’abord, avec Alexandru Balgiu, nous avons allié poésie sonore, musique ambient, impressions Riso et vidéo. Puis, avec Céline Pelcé et la cheffe Kotomi Matsumoto, nous avons organisé un dîner extrasensoriel.
Flore Falcinelli – Si la résidence favorise le caractère unique de chaque projet, pour moi qui avais envie de travailler en collaboration, j’en avais tous les moyens. De façon pratique, on peut recevoir des artistes à l’intérieur de la Villa pour faire des collaborations : on a des espaces de rencontre, des espaces de travail et des espaces intimes, ainsi que beaucoup d’espaces extérieurs qui permettent de multiplier les pratiques plastiques. On vit tous ensemble, les studios ont la même configuration, il y a une interdépendance d’expériences : les projets se déploient donc très vite.
Marcus Borja – Avec Céline Pelcé, on a conçu une performance multisensorielle entre cinéma, concert et performance culinaire, qui s’appelait Dérive nocturne et qui était un vrai travail à quatre mains. L’idée est venue de mon projet Note di notte. Night notes : Céline a eu envie de concevoir un menu interactif avec ce film. Je suis donc entré dans ce projet avec mon film et ma pratique musicale, et Céline avec sa pratique d’artiste culinaire.
Céline Pelcé – La résidence favorise la collaboration dans le sens où les relations s’établissent au-delà d’une pure rencontre professionnelle. Il y a aussi la vie quotidienne, les échanges entre deux portes, les rencontres impromptues, etc. Pour ma part, j’ai collaboré avec bon nombre des lauréats de la Villa, à chaque fois en invitant un collaborateur japonais à se joindre au projet, pour croiser les perceptions et les concepts. C’était passionnant !
Alexandru Balgiu – Il ne faut pas voir la résidence comme une finalité : c’est important de voir ce que ça nous apporte sur un temps long, le temps du séjour étant extrêmement rapide. C’est une invitation à aller plus loin, à continuer la conversation.
La post-résidence, un accompagnement sur mesure
Débora Bertol
Un cocon. Un temps suspendu pendant lequel une profonde transformation va s’opérer en douceur et en silence. Aucune contrainte de production, une pure période d’incubation qui fera, plus tard, éclore une nouvelle étape dans le cheminement créatif des artistes. C’est cette possibilité unique de prendre son temps et de se nourrir de la culture japonaise qu’offre la Villa Kujoyama aux artistes qui y séjournent. Mais il ne s’agit pas que de cela. Après cette rare parenthèse d’introspection, les lauréats démarrent la troisième et la plus longue étape de ce parcours. Pendant cinq années, le programme de post-résidence mis en place par la Villa Kujoyama les accompagne dans le développement de leur travail entamé à Kyoto.
Des dispositifs de partenariats en France et à l'étranger
Coordonné par Sumiko Oé-Gottini, un dispositif de partenariats pluriannuels permet de compléter, approfondir et valoriser les productions qui émergent après le séjour au Japon. « Le suivi se fait sur mesure. Après leur retour, nous sommes à l’écoute et en échange permanent avec chaque créateur pour répondre au mieux à ses besoins, qui diffèrent selon les disciplines. Ceux d’un artiste plasticien ne sont pas les mêmes que ceux d’un dramaturge, par exemple, ou d’un chercheur en critique d’art », explique-t-elle. À Paris, le partenariat avec le musée de la Chasse et de la Nature donne l’opportunité de produire et montrer les œuvres des plasticiens, performeurs et designers. C’est là où François-Xavier Richard expose pour la première fois son Orgue de papier, instrument musical fait en papier washi, dont les prémices sont nées lors du séjour kyotoïte. Le centre d’art contemporain de l’Abbaye de Maubuisson, en Val-d’Oise, offre quant à lui une période de résidence prolongée pour finaliser et expérimenter le travail amorcé à la Villa. La Cérémonie de l’olivier, performance culinaire conçue par Luz Moreno et Anaïs Silvestro, est ainsi l’abou- tissement d’une recherche sur les lieux de vie japonais. « Rentrées en France avec les produits et les mets récoltés sur place, elles avaient besoin d’un temps supplémentaire pour travailler sur une forme dramaturgique afin de partager leurs découvertes avec le public français », ajoute Sumiko. Depuis peu, les lauréats peuvent également prétendre à une résidence-rebond à la Villa Albertine, aux États-Unis, l’occasion d’élargir leur périmètre d’action, de retrouver d’autres interlocuteurs et, selon les disciplines, d’envisager des développements commerciaux pour leurs créations.
Un festival pour célébrer trois résidences d'artistes
Créé en 2016 à l’initiative de l’Académie de France à Madrid – Casa de Velázquez, la Villa Kujoyama à Kyoto et l’Académie de France à Rome – Villa Médicis, ¡Viva Villa! est un festival dont le programme d’expositions, spectacles, concerts, conférences et lectures vise à restituer les travaux et recherches menés dans ces trois prestigieux lieux. Sous le commissariat de Victorine Grataloup et Stéphane Ibars, l’édition 2022 s’intitule « Ce à quoi nous tenons ». Inspiré du livre de la philosophe Émilie Hache, le sujet permet d’articuler les pratiques des 71 participants, s’interrogeant sur l’écologie politique comme forme de pratique sociale. Au-delà d’un simple événement artistique, ¡Viva Villa! est aussi une rencontre unique entre les pensionnaires. « Ils sont curieux de savoir comment se passe la résidence dans les autres maisons, quelles sont les différences et les similitudes. C’est un moment très émouvant », affirme Victorine. Cinq ans après la fin de leur résidence, c’est avec de nouvelles ailes que s’envolent les lauréats de la Villa Kujoyama.
Débora Bertol
Quand ils partent au Japon, ils ne savent pas encore ce qui les attend. Si leur séjour est bien préparé en amont avec les équipes de la Villa Kujoyama et de l’Institut français, une fois arrivés sur place, les artistes comprennent rapidement que le pays réserve son lot de surprises. Certains découvrent des techniques ancestrales, d’autres y trouvent des partenaires pour des projets. Certains partent explorer des régions éloignées, au plus proche des traditions, tandis que d’autres sont inspirés par la nature environnante. Pendant les quelques mois de leur résidence, au fil de leurs trouvailles, rencontres, échanges et pérégrinations, les lauréates et lauréats de la Villa Kujoyama s’ouvrent à un monde nouveau, où les possibilités de création sont aussi vastes que la culture qui les sépare. Peu de temps après ou bien des années plus tard, ils donnent vie à des œuvres profondément marquées par leur expérience japonaise.
Pierre Charpin - Les singes de Kyoto
Design, 2012
Parti au Japon pour développer un projet lié à la technique de l’urushi (laque japonaise), Pierre Charpin y entreprend une intense activité de dessin. Ses outils de prédilection pendant le séjour sont une bouteille d’encre de Chine et des pinceaux achetés dans un 100 Yen Shop. Trois jours avant son retour en France, pris par un sentiment d’urgence, il dessine une série de singes. Par le biais de gestes rapides, intuitifs et spontanés, l’artiste met en avant la singularité de ces animaux qui sont un élément constitutif du paysage de Kyoto.
Eric Baudelaire - Retour vers (chez) soi
Cinéma, 2008
Lors de sa résidence à la Villa Kujoyama en 2008, Éric Baudelaire fait la connaissance de May Shigenobu, fille de la fondatrice de l’Armée rouge japonaise, et du scénariste, cinéaste et activiste radical Masao Adachi. Cette rencontre aboutit en 2011 dans L’Anabase de May et Fusako Shigenobu, Masao Adachi et 27 années sans images, une épopée au format de documentaire expérimental. Filmée en Super 8 dans les paysages de Tokyo et Beyrouth, elle revient trente ans en arrière dans deux récits croisés qui mêlent vie quotidienne, clandestinité, exil, politique et cinéma, ayant comme point central la question de l’image.
Gisèle Vienne - Une dérangeante articulation des contraires
Danse, 2007
Une forêt naturaliste, des poèmes de Dennis Cooper, des nappes de son menées par Stephen O’Malley, une épaisse brume qui envahit le paysage signée Fujiko Nakaya... C’est dans cette atmosphère aux allures presque mythiques que les trois personnages de This Is How You Will Disappear incarnent le glissement de l’ordre vers le chaos, de la beauté vers la tragédie. Plus qu’un spectacle, la danseuse franco-autrichienne propose une expérience sensorielle immersive et bouleversante, produite avec des artistes et collaborateurs japonais.
Natacha Nisic - Communiquer avec l’au-delà
Arts plastiques, 2016
Pour leur projet en duo à la Villa Kujoyama, l’artiste Natacha Nisic et l’historien Ken Daimaru conçoivent le film intitulé Osoresan. Dans la région des « portes de l’Enfer » au Japon, ils partent à la découverte des paysages et des personnages mythologiques. Ils y rencontrent la dernière des itakos, chamanes aveugles formées pour visiter le royaume des morts. Entre visions et chants traditionnels, dans les paysages de Fukushima, mort et éternité se croisent dans une représentation sociologique et mythologique de la peur. Osoresan est le résultat d'un travail de recherche de deux ans.
Jean-Luc Vilmouth - Séduction lumineuse
Arts plastiques, 1997
À l’issue de sa résidence, en 1997, c’est au Spiral Garden à Tokyo que Jean-Luc Vilmouth présente l’œuvre Bar séduire. Dans cette installation, des écrans sont posés sur des tables de bar individuelles. Le visiteur installé sur le tabouret se retrouve face à des personnages qui, tour à tour, s’expriment sur leur difficulté à se dévoiler à des inconnus. Le client de ce bar insolite et lumineux est quant à lui libre de rester ou de « zapper » sur une nouvelle offre. Une réflexion troublante sur la séduction à l’ère du speed dating et des sites de rencontre.
Catherine Meurisse - Peindre la nature
Bande dessinée, 2018
Première dessinatrice de bande dessinée à intégrer l’Académie des beaux-arts, Catherine Meurisse est lauréate de la Villa Kujoyama en 2018. Cette expérience, où l’introspection et l’immersion dans les paysages japonais sont au rendez-vous, aboutit dans l’album La Jeune Femme et la mer. L’ouvrage embarque le lecteur dans un voyage initiatique à la découverte la nature environnante, ayant comme point de départ son arrivée à la Villa. Avec un trait de plume précis, des couleurs poétiques et des jeux de miroir entre les personnages, l’autrice questionne la place de l’homme – et de l’art – dans la nature.
Dominique Gonzalez-Foerster - Paysage émotionnel
Arts plastiques, 1997
La lauréate du prix Marcel Duchamp séjourne à la Villa Kujoyama en 1997. Sorti deux ans après sa résidence, le court- métrage Riyo met en scène le paysage de la rivière Kamo, à Tokyo. Une conversation télé- phonique entre deux adolescents fait découvrir ce lieu, point de rencontre et de flirt pour les jeunes Tokyoïtes. Autour de leur présence invisible, c'est une tout autre ville qui s'installe : émotionnelle, transitoire, immature et ouverte.
Susan Buirge - Tradition et modernité
Danse, 1992
L’un des grands noms de la danse contemporaine, Susan Buirge est la toute première chorégraphe résidente de la Villa Kujoyama, l’année même de son ouverture. Au Japon, l’Américaine qui a vécu en France s’initie à la phi- losophie shintō et apprend le respect de l’espace, de la terre et de la nature. Avec le prêtre, musicien et compositeur shintoïste Tomihisa Hida, elle crée Le Cycle des saisons. Spectacle en quatre parties (Printemps, Été, Automne, Hiver) qui associe danse contemporaine occidentale, danse traditionnelle de tradition agraire et musique ancienne japonaise, sa création commence dès 1992 pour se conclure six ans plus tard. Susan Buirge s’installe définitivement au Japon en 2008.
Grégory Chatonsky - Balade dans un jardin protéiforme
Arts numériques, 2014
Pionnier de l’art numérique, Grégory Chatonsky utilise le Web et l’intelligence artificielle comme sources d’inspiration. L’artiste aborde des thématiques qui vont de la disparition de notre civilisation à l’obsolescence et l’hyperproduction de données. À la Villa Kujoyama, où il réside en 2014, il rencontre Goliath Dyèvre. Ensemble, ils numérisent en trois dimensions le jardin du Ryōan-ji, constitué de quinze roches, dont au moins l’une est toujours dissimulée au regard du spectateur, peu importe le point d’observation. La caméra virtuelle invite à un parcours infini et aléatoire dans cet ancien temple du bouddhisme zen.
François-Xavier Richard - Faire chanter le papier
Métiers d’art, 2017
Passionné de techniques artisanales, François-Xavier Richard est le fondateur de l’Atelier Offard, à Tours, qui perpétue le savoir-faire des papiers peints à la planche. Dans le cadre de sa résidence à la Villa Kujoyama, il expérimente le washi. Inscrit au patrimoine mondial immatériel de l’humanité, le papier japonais sert de matière principale pour son orgue, une vaste structure architecturale où le dominotier explore toutes les possibilités sonores permises par la matière. L’instrument est montré et activé pour la première fois lors des Journées du patrimoine de 2021 au musée de la Chasse et de la Nature à Paris.
Benjamin Graindorge - Le temps fait son œuvre
Design, 2009
Respecter la temporalité de la création, c’est ce qu’apprend Benjamin Graindorge au Japon. Lors de sa résidence à la Villa en 2009, il fait de nombreux dessins sur ses carnets. Si le vase Ikebana Medulla et la lampe asphericalSkylight sont édités dès 2010, ce n’est que pendant le premier confinement de 2020 que le designer reprend le projet d’une étagère en bois strié aux proportions subtilement dosées. Éditée en 2022, l’étagère Kujoyama prouve que les plus beaux objets prennent parfois du temps à naître.
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Villa Kujoyama, les artistes français à l’école de la sobriété japonaise - Le Figaro, Valérie Duponchelle
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